Le Cardinal prisonnier-Julliard
|
||||||||||||||||||||||
|
||||||||||||||||||||||
"L'idéal pour le romancier, écrit Salvador de Madariaga, est de partir d'une donnée historique exacte pour déboucher dans la pure fiction."
Christine Arnothy s'est-elle inspirée de ces mots pour brosser le portrait saisissant d'un cardinal hongrois cloîtré depuis vingt ans à l'ambassade des Etats-Unis de Budapest ? Peut-être. Mais très vite le lecteur s'aperçoit que la donnée historique n'est effectivement qu'un point de départ et que, dans ce cadre, l'auteur a construit un pur roman. Nous sommes en 1976. Un nouvel ambassadeur américain arrive à Budapest. Il amène avec lui son beau-frère, Harry Morton. Celui-ci, rongé par une grave maladie et dont la vie ne tient qu'à un fil, offre la liberté au cardinal.Il veut mourir à sa place. Le cardinal le prend d'abord pour un aventurier et refuse presque d'engager la conversation. Mais le dialogue va devenir quotidien et durer trois mois. Nous assistons à ce duel de chaque jour, dramatique, amical, passionné, tandis qu'autour de cette bataille de deux êtres qui seront bientôt liés par une amitié fraternelle, se dessinent peu à peu les traits d'une époque. Quel sera leur destin ? Lequel vaincra l'autre ? Y aura-t-il une victoire ? Le Cardinal prisonnier est un livre haletant auquel on est attaché dès les premières lignes. |
||||||||||||||||||||||
© Julliard et Christine Arnothy
|
||||||||||||||||||||||
Le cardinal eut un moment d'hésitation ; il leva la main droite et la posa sur les jumelles. À leur contact, il fut tenté d'enfreindre une règle qu'il avait établie lui-même : ne pas contempler la rue avant huit heures.
Il consulta sa montre : huit heures moins une. Il poussa un soupir profond, porta les jumelles à ses yeux et regarda par la fenêtre. Le camion militaire, le même depuis de longues années, était posté devant l'immeuble. Un soldat, accoudé sur le volant, dormait encore. Un autre, mitraillette en bandoulière, se dégourdissait les jambes ; il bâillait. En 1970, le camion se déplaçait encore. Il partait le soir et faisait place à celui qui assurait la relève. Mais, depuis six ans, le camion, rongé par la pluie et par la neige, demeurait immobile face à l'ambassade. Voilà que l'homme assis au volant s'éveillait. Il s'étirait, toussait. Le cardinal voyait les petites secousses provoquées par la toux. Le soldat crachait pas la vitre baissée. L'autre avait disparu derrière le camion. Une Pobieda bâchée arrivait. Deux soldats en descendaient. Celui qui s'était éclipsé derrière le camion revenait en se rajustant. Ils se saluaient. Ceux de nuit partaient avec la Pobieda ; ceux de jour s'installaient à leur tour en face de l'ambassade américaine. On frappa légèrement à la porte. Le cardinal déposa ses jumelles sur la table, à côté du bréviaire. Janos, le valet de chambre à son service depuis vingt ans, entra. - Je vous souhaite respectueusement le bonjour, Eminence? Janos baissa la tête avec humilité. Vieux paysan, superstitieux et croyant en même temps, il vouait un respect profond à son maître. - Que Dieu te bénisse, Janos, dit le cardinal, et il se leva. L'heure de la messe approchait. Il n'avait pas l'habitude de bavarder avant de l'avoir célébrée. Janos ouvrit l'armoire et en sortit les vêtements sacerdotaux. Il habillait le cardinal avec des gestes maternels, l'étole autour du cou fixant le manipule à l'avant-bras gauche. Mais le cardinal, seul, croisa devant sa poitrine la longue bande de soie frangée. Janos prit enfin la chasuble et la fit glisser sur le corps fragile. Quand le cardinal fut prêt, Janos s'éloigna. Son maître, s'inclinant, murmura une rapide prière. Quelques instants plus tard, il sortait de sa chambre, suivi par Janos. Une large galerie s'étendait devant eux. Le tapis pourpre, épais, étouffait le bruit de leurs pas. Distrait malgré lui de ses pensées religieuses, le cardinal compara un instant le tapis moelleux à des sables mouvants qu'il lui faudrait traverser. Des deux côtés, les murs étaient peuplés de portraits d'hommes d'Etat, de généraux disparus depuis longtemps, dont le nom ne se formait plus sur les lèvres. Ces portraits à l'huile, soignés et somptueusement encadrés, le voyaient passer chaque matin avec son domestique. Au fond de la galerie, à droite, le cardinal eut un regard pour Lincoln. Plus loin, à gauche, ses yeux effleurèrent Washington ; le premier Président des Etats-Unis souriait presque au-dessus de son jabot de dentelle. De ce côté de la galerie, flottait entre eux deux comme un léger parfum de complicité. Ils étaient de vieux amis. Depuis vingt ans, ils se reconnaissaient chaque matin, comme les habitués d'un club aristocratique où l'on ne se permet pas de faire trois pas l'un vers l'autre de crainte de déranger, où l'on est capable de se saluer d'un regard pendant toute une vie et de mourir silencieusement, élégamment, avec distinction. Janos ouvrit la porte du fumoir. Celui-ci avait été transformé, il y a vingt ans, en chapelle provisoire. C'est là que le cardinal disait sa messe tous les jours, à neuf heures moins le quart. Les murs couverts de boiseries lourdement sculptées, les rideaux tirés, l'éclairage fade d'un lustre en cristal, l'odeur de l'encens refroidi y créaient l'atmosphère sévère d'une sacristie. La pièce avait été vidée. Il ne restait, au milieu, que le tapis, deux chaises adossées au mur, et l'autel improvisé, composé d'une table couverte d'une nappe blanche, sur laquelle avait été posée une petite armoire d'acajou dont la double porte était fermée à clef. Dans cette armoire se trouvaient le ciboire avec les saintes hosties, deux carafons de cristal et le calice. Janos s'agenouilla et agita la sonnette. La messe commençait. Quand elle fut achevée, le cardinal à son tour se mit lentement et difficilement à genoux. Puis il cacha son visage entre ses mains. |
||||||||||||||||||||||
© Julliard et Christine Arnothy |
||||||||||||||||||||||
Le Peuple, Bruxelles"Il y a là un souffle, une puissance d'écriture dont il faut rendre hommage à la jeune romancière."
La Libre Belgique, S. de V. La Vie en fleur Ouest-France, Yves-Marie Rudel, 10 juillet 1962 Les Annales, Raymond Las Vergnas, juillet 1962 Juvénal, Louise Weiss, 13 juillet 1962 La République, Toulon, Ch. de R Nice-Matin Arts, Matthieu Galey Livres de France, Annie Brierre, août-septembre 1962 Le Journal de Nevers, Charles Exbrayat, 6 août 1962 Le Républicain lorrain, Metz Femmes d'aujourd'hui, Jacqueline Barde, 23 août 1962 La France catholique La Nouvelle République du Centre-Ouest, Ch. Melchior-Bonnet, 19 janvier 1963 La Dépêche du Midi, Toulouse, 5 juin 1962 Le Dépositaire de France, Jacqueline Barde, mai 1962 |
||||||||||||||||||||||
© Christine Arnothy |