Donnant donnant -2007
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Et si vous étiez cette jeune Française qui revient à Los Angeles pour réclamer un droit de visite pour son fils de sept ans ? Sa demande rejetée une nouvelle fois, elle décide de se suicider, créer ainsi un scandale et briser la carrière du célèbre réalisateur américain qui ne l’avait épousée que pour son enfant.
Et si vous étiez cette star internationale, sublime actrice de cinéma, mais dont la cote pourrait bientôt baisser ? Son nouveau contrat pour un grand film en projet n’est pas encore signé. Elle s’aventure dans les sous-sols de l’hacienda que possède le réalisateur en Basse-Californie. Une preuve se cache dans les ténèbres. Voudrait-elle le faire chanter ?
Et si vous étiez ce photographe français, un peu paumé, qui filme le suicide de sa compatriote pour vendre le reportage à un journal people ?
Et si vous étiez jeté dans l'il du cyclone qu’est Hollywood pour y chercher la gloire, l’argent, et n’y trouver que la loi du « donnant donnant », que feriez-vous ?
C'est dans le nouveau roman de Christine Arnothy que vous trouverez les réponses et dans cette Californie où elle nous entraîne et qu’elle connaît si bien. On entre avec elle dans le labyrinthe étincelant et scabreux du cinéma et des personnages qui y circulent, où chacun est prêt à perdre sa vie pour sauver ce qui lui est essentiel.
Un subtil mélange d'adrénaline et d’oxygène
© Fayard et Christine Arnothy |
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Chapitre 1 |
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Les passagers de l'Airbus Paris-Los Angeles se dirigeaient vers la salle des contrôles. Hélène était épuisée. Lors de son départ, son passeport, les photos de Tim, son petit garçon, dans une pochette en plastique et différents médicaments accompagnés d'une ordonnance avaient été minutieusement vérifiés. Sa valise, fouillée avant l'enregistrement, était d'une modestie navrante : une chemise de nuit en satin détonnait parmi les jeans mal vieillis et quelques t-shirts. Pas d'explosifs. Puis dix heures de vol à côté d'un voisin envahissant qui s'était accaparé les deux accoudoirs.
Enfin à Los Angeles, mais pas encore officiellement admise. Elle regarda autour d'elle et repéra les caméras de vidéosurveillance. « Ce n'est pas le moment de craquer », pensa-t-elle. Elle se redressa et s'aligna dans l'une des files d'attente. Personne ne voulait ici d'une éclopée ni d'une déprimée. L'indifférence du douanier était feinte. Il examinait les passeports et cherchait sur l'écran les noms et dates figurant sur les documents. Au moindre doute sur leur authenticité, le passager pouvait être retenu et, après une pénible reconstitution de son passé, renvoyé dans son pays d'origine.
Aujourd'hui, Hélène arrivait de Paris malgré le refus d'un droit de visite à son petit garçon. Avant l'atterrissage, répondant à un questionnaire distribué par l'hôtesse, elle avait déclaré par écrit qu'elle n'était pas en conflit avec la loi américaine à propos d'un problème familial. Était-elle signalée sur un fichier comme une éventuelle perturbatrice de l'ordre public ' Cette fois-ci, elle venait pour mourir. Mais, pour mourir utile, il fallait l'autorisation de toucher terre aux USA. Une ligne jaune peinte sur le sol rappelait les passagers à un minimum de discrétion : respecter une distance entre eux. Une famille trop proche d'Hélène s'agitait. L'un des gosses gémissait et l'autre essayait de faire rouler une petite voiture entre les pieds de ses parents. « Arrête ! » lui dit sa mère. Une femme aux cheveux blancs vérifia plusieurs fois la présence ou l'absence d'un objet dans son sac. Tout devant, un type longiligne tenait son sac usé de la main gauche et serrait son passeport dans celle de droite, côté douanier.
Après une attente d'environ vingt minutes, Hélène avança à son tour et posa son passeport sur le comptoir. Le fonctionnaire l'ouvrit et consulta son écran. Il chercha parmi les H – il y avait plusieurs colonnes de H. Il trouva une Hélène Haller : sujet français ayant séjourné en Californie, repartie pour son pays d'origine. Elle était de retour et souhaitait une autorisation de visite dans son passeport électronique. Le temps s'arrêta. Hélène entendit battre son coeur. Ne pas trahir son angoisse. Son ex-mari, le célèbre metteur en scène Rudolph Schiller, avait-il pu, grâce à ses relations, étouffer l'affaire ' Leur divorce avait été largement relaté dans les journaux people. Puis le silence. Le scandale n'était pas dans l'intérêt de Schiller. Lors du procès concernant la garde de l'enfant, il avait réussi, avec l'aide de redoutables avocats, à obtenir le huis clos. Le juge avait attribué Tim à son père. À cause d'une maladresse flagrante commise avant son départ, estimée dangereuse pour l'enfant, Hélène était frappée de l'interdiction d'approcher à moins de deux cents mètres la maison où habitait Tim avec son père.
— Avez-vous des amis à Los Angeles ' demanda l'officier.
Elle répondit doucement :
— Des connaissances.
— La raison de votre voyage '
— Vacances.
— Votre adresse à Los Angeles '
— L'hôtel Hills.
— Avez-vous des projets d'excursion '
— Rien de précis.
Le fonctionnaire lui accorda trois semaines, le permis fut agrafé dans son passeport. Il fallait rendre ce feuillet en quittant les USA, preuve qu'elle n'était pas restée clandestinement. Hélène fut saisie d'émotion. Elle n'avait besoin que de trois heures pour organiser son suicide.
Enfin de l'autre côté, bousculée par la foule mouvante, elle se dirigea vers le tapis roulant. Les bagages arrivaient en vrac. Elle repéra le sien, l'attendit et, quand il fut à proximité, essaya de le saisir. Un homme près d'elle s'avança.
— Je vous l'attrape. C'est la valise rouge '
— Oui. Merci. La deuxième'
La petite quarantaine, chauve, l'individu aux lunettes cerclées de métal était cordial.
— Ici, il faut avoir le bras long' En avez-vous une autre '
— Non, dit-elle. Juste celle-ci.
— Vous êtes française '
— Oui.
— Moi aussi. C'est votre premier voyage ici '
— Oh non, dit-elle. Non.
Elle tenta de s'éloigner. Tirant sa valise, elle se dirigea d'un pas rapide vers le deuxième contrôle. Le fonctionnaire qui guettait les arrivants lui fit signe de s'arrêter. Il avait appris lors de sa formation que les personnes d'aspect anodin réservaient parfois des surprises. Et si cette femme apportait un cadeau comestible ' Même les chocolats étaient mal considérés. Ne cachait-elle pas une plante pour faire une greffe sur un arbuste local ' La poche extérieure de la valise l'intriguait.
— C'est quoi '
— Une écharpe, mal pliée.
Frustré, l'homme demanda :
— Avez-vous séjourné récemment dans un pays infecté par la grippe aviaire '
— Non. Je vis à Paris. Je n'y ai pas rencontré de poules
malades.
Elle regretta aussitôt sa plaisanterie. Heureusement, le douanier ne réagit pas. Un moment d'hésitation, puis, à regret :
— Passez, dit-il.
Hélène avança. « Du calme », se dit-elle. Il fallait qu'elle soit à l'heure prévue à l'hôtel. Ronny, son ami depuis le lycée à Paris, retrouvé après des années de séjour à Los Angeles, la filmerait avec sa caméra vidéo et la photographierait aussi. Puis il porterait les images à un important journal du matin pour que la mort de la jeune Française puisse être annoncée à la une : « Privée de droit de visite, n'ayant pas vu son fils depuis un an, l'ex-femme du célèbre metteur en scène Rudolph Schiller met fin à ses jours. »
Hélène et Ronny devaient se retrouver en début de soirée à l'hôtel. Elle espérait avoir la chambre qu'elle avait demandée – lors de la réservation, le souhait du client était signalé, mais il n'avait pas l'assurance d'obtenir ce qu'il voulait. Dès qu'elle aurait pris possession de ces lieux qu'elle aimait, qu'elle avait connus dans un moment de grand bonheur, Ronny serait prévenu –, il attendrait son signal au coffee-shop de l'hôtel.
Elle allait maintenant parcourir quelques longs couloirs pour atteindre le hall de l'aéroport et la sortie. Une roue cassée faisait bringuebaler sa valise – elle n'aurait plus l'occasion de la jeter. Puis l'immense double porte vitrée, les badauds, les porteurs, un enfant que sa mère rattrapa de justesse, tout le monde voulait être dehors en même temps. Même transportée en fraude, les yeux bandés, sans savoir où l'on allait se débarrasser d'elle, Hélène aurait reconnu l'odeur de Los Angeles, cette odeur qui changeait selon les saisons. À cette époque, c'était un mélange de jasmin et de gaz d'échappement. Les taxis défilaient, elle attendit son tour. Dans ce va-etvient de véhicules, personne n'aurait songé à resquiller. La gorge serrée, elle mesura l'immense gâchis dont elle était à l'origine.
Un jour, sa mère, ses amis, son cercle français, agacés, l'avaient interrogée : « Mais dis quelque chose de plus ! C'est comment Los Angeles ' C'est merveilleux ' C'est effrayant ' C'est de la poudre aux yeux ' » Elle s'était sentie soudain pauvre en mots. Émue, elle avait dit : « Los Angeles ' Une ville impossible à définir. Y circuler, la découvrir ' À n'importe quel moment elle vous saisit. C'est comme faire l'amour avec un homme séduisant et fascinant, s'abandonner dans ses bras. Un plaisir intense, qui vous enveloppe et vous hypnotise. Vous voulez lui parler, mais il n'est plus là. Désemparée, vous le cherchez. À côté de vous et dans votre mémoire. Vous essayez de vous le représenter. Vous croyez qu'il a des yeux clairs, couleur de l'océan Pacifique, changeants, menaçants, caressants, mais s'ouvrant à tout instant sur l'infini. Vous ne pouvez même pas le décrire, malgré l'empreinte de son corps sur le vôtre. Dorénavant, vous l'attendez chaque jour, chaque nuit' C'est ainsi : dès que j'arrive à Los Angeles, je me demande ce que la ville me réserve. Je la crains et je la cherche. Je n'ai plus besoin d'inventer une histoire : à Los Angeles, je deviens une histoire. » Hélène n'osait pas lever la tête. « Elle exagère toujours », avait prononcé sa mère en offrant des petits gâteaux aux invités un peu déçus.
Le chauve attentionné du tapis roulant se tenait derrière elle. « On peut prendre un taxi ensemble, proposa-t-il. — Non, merci. Vraiment pas. » Se tenir à l'écart des êtres humains. Elle n'aurait même pas supporté le frôlement d'un chien contre son mollet. Son taxi : fallait-il le laisser à la famille nombreuse ' Plus personne n'appréciait ce genre de manières. Le chauffeur balança le bagage d'Hélène dans le coffre. « Vous allez où ' » demanda-t-il.
Enfoncée dans la banquette arrière, saisie par le trac, voulait-elle vraiment mourir ' Elle avala à sec le quart d'un calmant – le tube traînait dans son sac. Ne plus jamais revoir cette ville qui coulait dans ses veines ' Une affinité et un instinct animal la liaient à cette mégapole. Quand on l'abordait par ce côté de l'aéroport international, Los Angeles se présentait comme une bourgade simple, rassurante, aux aspects provinciaux. Le taxi traversa des rues mal éclairées, fit quelques détours dans doute inutiles par Culver City, avant de s'engager sur Sunset Boulevard, si vicieux, si changeant. Des kilomètres dans l'obscurité, le début et la fin du monde reliés. Le véhicule se dirigeait à présent vers l'un des plus célèbres havres de stars depuis l'âge d'or d'Hollywood, le Hills Hotel. Rome a la basilique Saint-Pierre, Los Angeles son hôtel impérial. Le taxi tourna, prit une large allée décrivant un demi-cercle qui aboutissait devant l'entrée de l'hôtel. À droite, deux Roll's garées à côté d'une limousine stretch car.
Le taxi arrêté, Hélène eut à peine la force d'en sortir et de payer. Le passé tomba sur elle. « Tu verras, quarante-huit heures dans cet hôtel ne s'échangeraient pas contre une semaine aux Caraïbes », lui déclarait Schiller. Il fallait le croire. Leur mariage avait eu lieu dans le parc, où un espace est réservé pour ce genre de festivités. Tout Hollywood entourait la jeune Française qui avait réussi à épouser l'homme le plus convoité du moment. Qu'avait-elle de plus que les autres femmes ' De taille moyenne, fine de corps, les pupilles marron foncé sur un blanc de coquillage, des lèvres pareilles à un dessin d'enfant, des cils de Bambi, un tailleur ivoire et, paraît-il, du talent. Elle écrivait, cette petite – d'où la rencontre avec Schiller.
© Fayard et Christine Arnothy |
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© Christine Arnothy |